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Arriver en Europe sans payer une mafia: mission quasi impossible pour un migrant

36.000 migrants sont entrés dans la péninsule ibérique depuis janvier 2017 pour tenter de rejoindre d’autres pays d’Europe. Ils ont escaladé des clôtures de barbelés de six mètres ou traversé la Méditerranée au péril de leur vie. Leur courage n’a pas suffi: ils ont dû souvent recourir aux réseaux de passeurs.

«Il est pratiquement impossible d’atteindre l’Europe clandestinement» sans avoir payé une mafia, assure le directeur du Centre européen pour la lutte contre le trafic des migrants (EMSC) d’Europol (agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité), le Slovène Robert Crepinko. 90% des migrants y ont eu recours, ajoute ce policier en se basant sur une étude de 2015 (introuvable sur internet). Sans eux, «il est impossible» de parcourir des milliers de kilomètres depuis l’Afrique subsaharienne, à travers des déserts et des zones inhospitalières, témoigne Ousman Umar, survivant (cité par l’AFP) d’une traversée qui a duré cinq ans pour rallier l’Espagne depuis le Ghana.

«Le trajet peut durer un an, deux ans, selon le réseau et les fonds dont on dispose parce que les bandes de trafiquants n’amènent (leurs «clients» ) que jusque-là (où ils) peuvent payer», explique José Nieto Barroso, policier travaillant à l’unité contre l’immigration irrégulière (UCRIF) espagnole.

3000 à 5000 euros, selon Europol
Les migrants convergent le plus souvent vers le Maroc, «le meilleur endroit pour attendre le moment opportun pour faire le saut» vers l’Espagne, estime le policier. La plupart paieront pour s’entasser dans une fragile embarcation. D’autres pour escalader en groupes les hautes barrières hérissées de barbelés séparant le Maroc des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Les tarifs, selon la police espagnole: 18 euros pour franchir la clôture; 200 à 700 euros pour traverser le détroit de Gibraltar; et jusqu’à 5000 pour le faire sur un scooter des mers. En moyenne, un migrant paie de 3000 à 5000 euros pour le voyage complet vers l’Europe, estime Europol.

L’Espagne est devenue cette année la première porte d’entrée des migrants clandestins devant la Grèce et l’Italie, selon l’Organisation internationale pour les migrations: au 9 septembre 2018, on comptait ainsi 27.577 arrivées dans ce pays par la seule voie maritime de citoyens venus d’Afrique (au rythme moyen de 225 par jour au mois d’août). Selon José Nieto Barroso, les trafiquants disent aux migrants: «Vous allez être secourus en mer par les garde-côtes, ils vont vous emmener à un centre d’accueil et au bout de trois, quatre jours, il y aura des gens du réseau là-bas qui vous récupèreront.»

Arrivée de migrants africains à Algeciras (Espagne) le 1er août 2018  (JORGE GUERRERO / AFP)

De là, nombre d’entre eux sont résolus à gagner la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, en fonction de leur origine (Afrique francophone ou anglophone) et des proches installés dans ces pays. Mais une fois arrivés dans la péninsule ibérique, ils ne parviennent pas toujours à échapper à l’emprise des passeurs. Ceux-ci peuvent les emmener dans un autre pays. Ou les livrer à des réseaux de traite des êtres humains, selon le policier.

Les centres de rétention de migrants sont «totalement débordés» et les mafias en profitent en récupérant les migrants à proximité des sites des ONG qui les aident, dit-il.

Paloma Favieres, de l’ONG Commission espagnole d’aide au réfugié (CEAR), qui gère des lieux d’accueil pour migrants, admet ce risque. «Mais la lutte contre la criminalité est du ressort de la police», estime-t-elle. Elle dénonce le «chaos» qui règne dans l’accueil des réfugiés par les autorités espagnoles. La CEAR dit avertir la police quand elle détecte qu’un migrant risque d’être victime de trafic ou de traite.

Réseaux de traite
Si les migrants tombent entre les mains des réseaux de traite, les femmes sont exploitées comme prostituées, les hommes pour des travaux confinant à l’esclavage moderne, notamment dans l’agriculture intensive. Ou pour mendier.

Les réseaux de passeurs «fournissent des gens. “J’ai 8, 12, 15 Subsahariens pour travailler”, disent-ils», rapporte M.Barroso. «Le réseau n’a pas vocation à exploiter, seulement à transporter, mais il connaît des (employeurs) à qui il fournit» des migrants, ajoute-t-il.

Le flux des migrants depuis l’Espagne vers le reste de l’Europe se poursuit. Leur nombre est ainsi en augmentation dans la municipalité basque d’Irun, frontalière avec la France. Là, ils dorment où ils peuvent en attendant de passer de l’autre côté des Pyrénées. A Santander, à 200 km à l’Ouest, deux passeurs ont été arrêtés en août 2018: ils avaient caché des migrants dans une caravane pour les emmener au Royaume-Uni en ferry.

En 2018, 25 réseaux ont été démantelés en Espagne. Mais les éliminer est difficile, dit José Nieto Barroso. Motif: nombre de ces réseaux restent actifs dans les pays d’origine où ils continuent à recruter des candidats à l’émigration. Un flux qui ne semble pas prêt de se tarir.

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