Chaque jour depuis trente-cinq ans, Françoise traverse le pont Saint-Ladre pour aller chercher sa baguette dans le centre-ville de Crépy-en-Valois (Oise). Et chaque jour, elle se tracasse un peu plus, étant donné le rythme où ce morceau de béton à l’allure délabrée se dégrade. “J’ai peur qu’il s’effondre un jour”, lâche-t-elle, en fixant l’ouvrage dont le revêtement est en partie tombé, laissant apparaître les parties en ferraille de la structure. Elle n’est pas la seule, ici et dans de nombreuses communes de France, à s’inquiéter face aux ponts à l’abandon.Un an après l’effondrement du pont Morandi qui a fait 43 morts à Gênes (Italie), ces images hantent encore certains riverains et inquiètent les spécialistes. “Oui, un accident de ce type peut arriver chez nous si l’entretien des ponts n’est pas bien fait”, assure Christian Tridon, président du Syndicat des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et renforcement de structures (Strres). Fin juin, des sénateurs ont aussi tiré la sonnette d’alarme en dévoilant un chiffre choc : au moins 25 000 ponts seraient en mauvais état structurel en France. Une situation qui les a poussés à demander la mise en place urgente d’un “plan Marshall” pour les ponts.Mais alors, où sont situés ces ouvrages potentiellement dangereux ? Impossible de le savoir à la lecture des 148 pages du rapport. Et pour cause : il n’existe aucun recensement de ces ponts. “En réalité, le chiffre de 25 000 est une extrapolation réalisée à partir des auditions que l’on a pu conduire”, indique à franceinfo Michel Dagbert, sénateur PS du Pas-de-Calais et rapporteur de la mission d’information sur la sécurité des ponts. Nous avons donc décidé de prendre la route, sur la trace de quelques-uns de ces ouvrages délabrés.”La structure est altérée”Premier arrêt au niveau du viaduc de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, à quelques kilomètres à l’ouest de Paris. L’ouvrage fait partie des 23 ponts gérés par l’Etat dont “la structure est altérée”, selon le ministère des Transports. En septembre 2018, il a ainsi été classé en catégorie 3 par les autorités. Cela signifie qu’il “nécessite des travaux de réparation, sans caractère d’urgence”. De quoi attirer notre attention, alors que ce grand arc en béton précontraint de plus d’un kilomètre de long – comme le pont Morandi – permet à la très fréquentée autoroute A13 de franchir la Seine.
Parmi les travaux à réaliser, certains concernent justement cette technique de construction. “Il s’agit de câbles que l’on met à l’intérieur du béton et que l’on tend pour resserrer le béton, explique Christian Tridon. Vous tirez le câble pour comprimer les poutres. Mais si un câble casse, il n’y a plus de compression dans la poutre et cela peut avoir de graves conséquences…” Pas d’inquiétudes ici, malgré les traces de rouille et d’humidité visibles depuis la rive. La Direction des routes Île-de-France (Dirif) assure que les travaux ont été réalisés.Ce ne sont d’ailleurs pas ce genre de ponts qui se trouvent dans la situation la plus préoccupante, selon le rapport sénatorial. Le point noir se situe au niveau des collectivités territoriales. En effet, 8,5% des ouvrages départementaux et près de 20% des ponts communaux présenteraient une structure altérée. Nous avons donc quitté la région parisienne et pris la direction du nord, pour arriver devant un ouvrage plus modeste, mais visiblement en très mauvais état. “Le béton armé, ça ne prévient pas”Nous voici donc à Crépy-en-Valois, dans l’Oise. Cinquante-cinq mille habitants et plus de 7 000 véhicules empruntent, chaque jour, le pont Saint-Ladre, au-dessus des voies de chemin de fer. L’édifice fête ses 90 ans cette année et les signes de délabrement sautent aux yeux. Des grandes fissures lézardent les poteaux en béton, dont le revêtement est déjà en partie tombé. Lorsque l’on s’approche, d’autres imperfections se dévoilent. “On voit toutes les structures métalliques qui apparaissent à l’air libre”, commente Yves Mouny, président de l’association Crépy environnement. Un problème récurrent et dangereux, selon le président du Strres, Christian Tridon. “Si les aciers se corrodent, le béton éclate et la capacité de portance de l’ouvrage s’en trouve diminuée, explique-t-il. Cela peut causer des accidents. Le béton armé, ça ne prévient pas.”présidente du département de l’Oiseen septembre 2018En 2016, le bras de fer se retrouve devant le tribunal administratif d’Amiens (Somme). Et en septembre 2018, la présidente du conseil départemental de l’Oise en appelle à Elisabeth Borne, ministre des Transports, dans une lettre que nous avons pu consulter. Face à la situation, Nadège Lefebvre réclame “une intervention urgente” de l’Etat. Mais en l’attente du verdict du tribunal, personne ne sait encore à qui appartient ce pont… et qui doit réaliser les travaux.Des travaux prévus… en 2025Alors que le bras de fer se poursuit, l’état du pont, lui, se fait de plus en plus préoccupant. “Cela fait longtemps qu’on en parle, mais là, on commence à prendre un peu peur”, commente ainsi Isabelle, une riveraine. En septembre 2018, un expert, mandaté par le tribunal, a demandé l’interdiction du passage des véhicules de plus de 3,5 tonnes. Le département a également pris les devants : des études ont été effectuées et un appel d’offres a été lancé début juillet pour la “destruction” et la “reconstruction” du pont. Une lueur d’espoir pour les habitants ? Pas vraiment, à en croire le maire de Crépy-en-Valois. “En mai, nous avons eu une réunion avec la SNCF et un représentant nous a annoncé, debout et sans rire, que les travaux ne pourront être réalisés que… dans six ans ! Je peux vous dire que je n’ai pas été aimable”, se remémore Bruno Fortier, depuis son bureau du cossu hôtel de ville. Contactée par franceinfo, la SNCF confirme que les opérations envisagées par le département “impacteront la circulation ferroviaire” et qu’elles ne débuteront “qu’à compter de 2025”.L’inquiétude, c’est que le pont s’écroule. Elle est légitime, et je l’ai aussi.Bruno Fortier, Pour résoudre ces lacunes, les parlementaires préconisent de mettre en place un “carnet de santé” afin de suivre l’entretien de chaque pont. Un an après la catastrophe du pont de Gênes, les sénateurs ne veulent pas avoir à attendre un nouvel accident, en France, pour renforcer la sécurité de ces ouvrages. Le rapporteur Patrick Chaize le répète : “Il est urgent d’intervenir, mais il n’est pas trop tard !”Click Here: Fjallraven Kanken Art Spring Landscape Backpacks