Voisin notamment du Nigeria, du Soudan et de la Libye, le Tchad est situé dans une région très instable. En janvier 2018, des rebelles sont entrés dans le pays venant de Libye avant d’être stoppés par des frappes françaises. Ce qui n’empêche pas les archéologues d’y mener des fouilles. Interview de Vincent Mourre, responsable français de ces recherches.Franceinfo Afrique : la situation géopolitique difficile de la région ne complique-elle pas les opérations archéologiques ?Vincent Mourre : en fait, le Tchad est un peu l’œil du cyclone. Il est pourvu d’un régime fort et c’est l’un des pays les plus stables de la région. Effectivement, il y a des incursions de Boko Haram dans la zone du lac Tchad (sud-ouest). Mais il n’y a pas de risques terroristes majeurs.Pour autant, l’ambassade de France exige que nous travaillions avec une escorte de l’armée tchadienne. Les risques sont plus liés à des problèmes de droit commun. Il y a aussi eu des cas d’enlèvements très ponctuels. Personnellement, je n’ai jamais eu l’impression d’être en insécurité.
Pour l’instant, nous renonçons à des opérations dans la région des lacs d’Ounianga (nord), où nous avons fouillé à deux reprises en 2015 et 2016. De fait, cet endroit est proche de la frontière libyenne. Mais les raisons logistiques et financières comptent plus que les raisons sécuritaires : il faut cinq jours de piste pour s’y rendre et en revenir.Qu’avez-vous découvert ?La région des lacs d’Ounianga, dans le désert du Sahara, possède un fort potentiel. Le sol y est en jonché d’une quantité phénoménale de bifaces et de pointes de flèche. Mais ces objets sont difficiles à dater avec précision dans la mesure où il n’y a que peu d’éléments (charbons, ossements…) qui permettraient de les resituer dans leur contexte. C’est un peu frustrant !On a découvert sur des parois de grès des gravures, très fragiles, vieilles de 5 000 ans et caractéristiques de l’art des pasteurs-nomades à l’époque du néolithique. Il s’agit d’un ensemble majeur avec des figures de grands animaux africains : girafes, éléphants, grands bovidés… Lesquels ne sont pas présents aujourd’hui dans cette zone.
Quant au résultat de vos opérations archéologiques, où en est-on ?Elles confirment la continuité et la pérennité des occupations du Sahara même après le néolithique, quand la région d’Ounianga est devenue une oasis. A toutes les époques, des populations ont évolué dans ces régions, y compris quand elles sont devenues difficiles car désertiques. Cela donne de la profondeur historique à ce continent. Ce qui contredit le propos selon lequel “l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire”…Comment réagit la population tchadienne à vos fouilles ?Nos collègues tchadiens sont très contents de nous voir. Il faut savoir que c’est l’ex-recteur de l’université de N’Djaména, Ali Abderrahmane Haggar, qui est à l’origine de notre mission. Sur le terrain, nous sommes bien perçus. A Ounianga, nous formions une grosse équipe, ce qui avait des retombées pour la population locale en terme d’emplois : guides, cuisiniers…Certains pensent parfois que nous sommes là pour des motivations financières, pour découvrir des richesses matérielles. Ce n’est pas toujours évident de faire comprendre que nous sommes là pour faire progresser les connaissances.
Vincent Mourre, qui dirige la mission archéologique franco-tchadienne (ArRéLaT), est archéologue préhistorien à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) et chercheur (UMR 5608 Traces).Il intervient au Tchad depuis 2014.