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Deadpool et la VF : comment traduire les vannes du super-héros Marvel ?

Responsable de la version française de Deadpool, Joël Savdié a eu la lourde tâche de traduire le phrasé et les répliques trash et cultes du super-héros Marvel. Pour la sortie vidéo du film, il revient sur un travail d’adaptation WTF.

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“Ce soir… branlette !”

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© 20th Century Fox / FPE

AlloCiné : Quel a été votre sentiment au premier visionnage de “Deadpool” ? Sur le film en lui­-même… et surtout sur ce qui vous attendait en termes d’adaptation ?

Joël Savdié : J’ai beaucoup ri, et puis je me suis retroussé les manches. La logistique était un peu compliquée, comme souvent pour les films d’action : on travaille sur des versions préliminaires, qu’on réécrit et complète parallèlement à la post­-production du film original. La scène où la Fouine aligne les métaphores sur le visage grumeleux de Deadpool, par exemple, a dû être réécrite plusieurs fois.

Quel était le principal défi : la traduction des vannes, le rythme, le respect de la personnalité et de la psychologie du personnage ?

Tout ça. Enfin la psychologie très peu, dans ce genre de film il vaut toujours mieux traduire le premier degré en ayant le second à l’esprit, plutôt que l’inverse.

Aviez-­vous déjà été confronté à un film aussi vanneur, aussi grossier ?

En début de carrière, j’avais eu un film avec Andrew Dice Clay, tellement mal embouché que le distributeur avait renoncé à le sortir en salles. J’ai là aussi beaucoup ri, avec le petit plaisir transgressif de faire dire des gros mots à des personnages plus vieux que moi.

Avez­-vous eu des difficultés à traduire / transposer certaines insultes et vannes ?

On traduit l’esprit ou la lettre, ou les deux avec un peu de chance. Je me suis attaché, comme l’original, à éviter les répétitions ou les formules trop convenues.

Comment fait­-on quand on est confronté à une insulte inconnue ou de l’argot ? Il existe des “dictionnaires” pour ça ?

Les dictionnaires existent, même si l’argot vieillit vite. Mais les ressources en ligne sont légion, y compris sur les réseaux sociaux. On n’est pas tout seul. Parfois, et par bonheur c’est rare, on tombe sur une réplique totalement mystifiante, et ça n’a pas loupé : quand Deadpool se fracasse la main sur le crâne métallique de Colossus, et qu’il gueule “Canada !” à sa loque pendouillante, je ne sais toujours pas, à ce jour, ce qu’il a voulu dire, et ce n’est pas faute d’avoir demandé. Je me suis donc humblement rabattu sur la trad littérale, et je suis passé à la suite. J’aurais tout aussi bien pu inventer un truc, j’aurais peut­-être dû, d’ailleurs. Si vos lecteurs ont une idée, je suis preneur, même si c’est un peu tard.

Une fois le sens clarifié, comment choisissez­vous la traduction d’une insulte ? Si on prend l’exemple de “Tonight, I’m touching myself”, ça peut aussi bien donner “Ce soir, branlette” que “Ce soir, je me branle” ou “Ce soir, c’est la fête du slip” ou encore “Ce soir, je joue avec popaul” ! Comment se fait le choix ?

Vous êtes inspiré, c’est bien ! À sens équivalent, je choisis celle que j’aurai le plus de plaisir à balancer à mon premier public, composé du directeur artistique et du client (ça s’appelle une vérif, je leur lis tout le dialogue à haute voix, en expliquant ou en rectifiant selon les besoins ; s’ils ne rient pas c’est mauvais signe). En amont de cette opération, il y a quelques semaines de travail solitaire, où j’élimine ce qui ne me convient pas à coups de “Fête Du Slip pas clair pour tout le monde” “Y aura­ t­-il quelqu’un pour se demander qui est Popaul”, etc. Je peux aussi leur laisser des variantes.

“Ma gueule de fougasse au chorizo”, “Sinead O’Connasse”, “un merdoyage colossal dans des proportions excrémentielles” : de quelle traduction / vanne francisée êtes­-vous le plus fier ?

Je revendique le tout, y compris ce qui ne relève pas à proprement parler de la traduction, car devant la quantité brute des vannes de Deadpool, on peut compenser les inévitables impasses en se laissant aller à des gratuités qui sembleraient déplacées dans un autre film. “O’Connasse” est un ajout, par exemple, ou quand Blind Al propose un anti­douleur à Wade, citant un nom de marque inconnu en France et dont il serait risqué de nommer l’équivalent. Là, il n’y avait pas de gag en VO, mais j’ai quand même proposé “Parasétamoule ?” pour noyer le poisson pharmaceutique, et aussi parce qu’on n’avait pas parlé de cul depuis au moins trente secondes et ça manquait un peu.

Et il y a votre chef d’œuvre : “Vulverine. Il a une jolie paire de melburnes dans son slip ­kangourou.” Quelle est la genèse de cette traduction surréaliste ?

C’est gentil de le dire, mais à l’origine, c’est un point d’achoppement : peu de Français connaissent l’origine australienne de Hugh Jackman -qui n’apparaît qu’en interview- car il imite à merveille l’accent américain/canadien dans ses films US. Le public anglo­saxon étant plus affranchi, Ryan Reynolds n’avait qu’à évoquer les roubignoles de Jackman avec l’accent australien, alors que pour nous, il fallait des jeux de mots, sous peine de tomber à plat, d’où melburnes et kangourou. Quant à “Vulverine”, c’est une prononciation qui nous fait marrer depuis le premier X­-Men, quand on a appris que la fanbase prononçait le W comme un V. Ce gag­-là vous pendait donc au nez depuis près de seize ans.

La version sous-­titrée diffère­-t-­elle beaucoup de la version doublée ? En quoi ?

Les critères d’adaptation ne sont pas les mêmes, les contraintes non plus. Pour résumer, en VOST je cherche la fidélité formelle et la concision, ce qui pour un dialogue comique débité à la mitraillette pose aussi son lot de petits soucis, alors que le dialogue VF s’attache plus à la cohérence, à la clarté, au synchronisme gestuel et labial, et aux ambiances. Cela dit, il peut y avoir des points communs, surtout quand la même personne est choisie pour le texte VF et la VOST, ce qui a été mon cas.

Justement, le fait que le personnage possède un masque a­ t-­il facilité le travail sur la VF, en termes de synchronisation labiale ?

Indéniablement. Et surtout sur un film comique, chercher l’effet sans ces restrictions a pas mal simplifié le processus. Cela dit, il faut surtout saluer l’éloquence gestuelle du clown Reynolds, qui réussit à faire passer énormément de choses sans montrer son visage. J’ai tâché de respecter ce travail en plaçant mes appuis dans le texte-travail achevé avec finesse par le monteur VF.

Etiez-­vous présent avec Pierre Tessier au moment de l’enregistrement ? Y a-­t-il eu des changements / des improvisations durant cette phase ?

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Je suis rarement présent sur le plateau, mais j’assiste à la projection de contrôle du mixage final, et/ou à l’interlock (bout­-à-­bout des prises retenues après enregistrement). Le texte est généralement enregistré tel qu’il a été validé par le client et le directeur artistique, laissant peu de place à l’improvisation ­-qui de toute façon constitue un exercice périlleux en doublage, car à la différence de l’écriture, l’enregistrement ne se fait pas dans l’ordre chronologique, et les comédiens ne connaissent du film que ce que le directeur artistique leur a dévoilé sur leur personnage. Le numérique apporte cependant une certaine souplesse : si un comédien a une idée, et il y en a parfois de bien judicieuses, on peut toujours enregistrer la prise et choisir en connaissance de cause.

Quel a été votre sentiment au moment de visionner la VF définitive ?

Franchement ? Je comptais les points, en me demandant si on était arrivés à 90 %, ou 95%. Mais avant, j’avais bien passé six semaines à ricaner tout seul derrière mon ordinateur.

Deadpool est le genre de personnage qu’on est triste de quitter… Vous avez hâte de travailler sur la suite ?

J’ai eu la chance de travailler sur beaucoup de films Marvel à la Fox. Si on me propose de continuer sur Deadpool 2 (ça ne coule pas de source, on n’est pas sous contrat) j’en serai ravi.

Serez-­vous d’accord si je dis que votre travail va bien au­-delà de la “simple” traduction et que vous avez la responsabilité d’interpréter textuellement un état d’esprit, et donc une vraie part dans la façon dont le personnage sera perçu par le public français ?

Certains trouvent réductrice la notion de traduction dans nos métiers, et se reconnaissent davantage dans le statut d’auteur. Pour ma part, auteur, adaptateur, dialoguiste, traducteur (ou doublaturge­, subtituliste, tradaptauteur, la liste est longue et poétique), ne sont pas incompatibles, et je me sens plutôt l’un ou l’autre selon la phrase que je traite, mais le but recherché reste le même : employer l’artifice pour rester fidèle.

Deadpool est disponible dès maintenant en Digital HD, et le sera dès le 17 juin en DVD, Blu-ray et VOD.

Propos recueillis par Yoann Sardet – Remerciements : Chris Tirtaine (Fox)

Deadpool version VF…

Deadpool – BANDE-ANNONCE NON CENSUREE VF

 

… et version VOST

Deadpool – BANDE-ANNONCE NON CENSUREE VOST

 

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