C’est l’un des grands artistes de l’animation française : Jean-François Laguionie nous offre avec “Louise en hiver” son cinquième long métrage, ode au temps qui passe et à la vie, porté par une héroïne haute en couleurs. Du moins en pastels.
AlloCiné : Comment est née cette héroïne incroyable ?
Jean-François Laguionie : Elle n’est pas incroyable. Elle a envie de comprendre, et surtout de vivre… J’ai d’abord écrit une histoire courte, comme je le fais souvent. Comme souvent aussi, le personnage s’est endormi dans un tiroir. Et puis s’est imposé un jour, en regardant ma mère quand elle s’est retrouvée seule.
Pour vous, que représente ce film ? Un éloge de la solitude ? de la “vieillitude” ? Un Robinson Crusoë revisité ?
Un éloge de la résistance ou un éloge de la vie, tout simplement… Comment profiter d’un accident banal et désagréable (Louise a raté son train) pour revisiter sa vie et en profiter. Un Robinson Crusoé qui ouvrirait portes et fenêtres, au lieu de s’enfermer derrière des palissades !
D’autres films sur la solitude (Seul au Monde ou Into The Wild, par exemple) vous ont-ils nourri ?
Non, plutôt des lectures. Car ce n’est pas un film sur la solitude, comme on peut la ressentir parfois dans la foule des villes. Louise va la meubler avec ses souvenirs, ses rêves, ses questions… Et surtout un compagnon qui vient partager sa vie et dialoguer avec elle… J’ai été nourri longtemps par les récits des navigateurs solitaires comme Slocum ou Moitessier. Ils parlent rarement de la solitude.
Vous évoquez dans le dossier de presse votre film le plus intime : en quoi les aventures de Louise sont finalement les vôtres ?
Il y a dans le film quelques souvenirs d’enfance, lorsqu’on m’a confié à ma grand-mère, peu après la guerre. Elle me laissait beaucoup de liberté !
De quels lieux s’inspire votre Biligen-sur-Mer en Ormandie ?
C’est une petite ville imaginaire, mais beaucoup lui ressemblent, en Normandie, en Bretagne, ou ailleurs. Il faut les découvrir en hiver. Des lieux qu’il est facile de dessiner quand ils ont illustré votre enfance.
Les stations balnéaires “hors-saison” sont rarement explorées par le cinéma : en quoi cet univers hors du temps vous intéressait-il ?
J’ai toujours aimé les endroits abandonnés, je ne sais pas pourquoi. De plus les bords de mer échappent au temps qui passe. La présence de la mer semble les mettre dans un autre temps.
A travers son expérience, Louise quitte le “temps-humain” pour revenir au “temps de la nature” : c’est quelque chose que nous oublions trop souvent selon vous ?
Le temps devrait nous appartenir. Louise n’est plus soumise au temps des autres et va découvrir la liberté, enfin, de faire ce qu’elle veut… Elle peut même se caler, si elle le souhaite, sur un autre temps magnifique : celui de la marée. Un temps plus vieux que celui de l’espèce humaine… Et puis il y a aussi le temps qu’il fait : cet hiver incroyablement ensoleillé !
Le scénario et la voix ont été réalisés avant toute recherche graphique, ce qui est plutôt rare dans l’animation. Pourquoi ce choix ?
Cela me semble plus honnête. Prendre le personnage par l’intérieur avant que le dessin s’en empare. De simples croquis sont suffisants au début.
Parlez-vous de votre travail avec Dominique Frot : en quoi son interprétation (formidable) a t-elle influencé le dessin ?
Là aussi, une belle aventure. J’avais tout d’abord imaginé une autre voix, plus fragile. C’était une erreur. Louise avait besoin de force et d’humour. Dominique Frot m’a aidé à comprendre mon personnage. J’ai même été amené à épaissir le dessin, lui donner plus de poids.
Vous prêtez vous-mêmes votre voix au chien Pépère : c’était important pour vous d’être également présent “devant” la caméra ?
Non, ce n’est pas important. C’était seulement pour m’amuser.
Parlez-nous de ce formidable personnage secondaire, Tom le parachutiste squelette. Comment est-il né ?
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Un autre souvenir d’enfance chez ma grand-mère. Ce n’était pas un parachutiste, mais les habits de quelqu’un qui s’était fait sauter sur une mine, dans le bois où j’allais jouer…
Quelle a été votre approche graphique sur ce long métrage ? On a vraiment l’impression d’évoluer dans des aquarelles d’antan, des photos du début du siècle…
Ce sont vraiment des aquarelles, rehaussées au pastel. Le choix de cette technique permet, je crois de donner davantage de légèreté à l’histoire. Le grain du papier a été reporté sur les personnages animés, grâce à la formidable équipe de JPL films.
Comment avez-vous dosé les séquences réalistes et les séquences oniriques, afin que tout puisse se marier et se croiser harmonieusement ?
C’est en effet un problème de dosage. Les rêves et les souvenirs sont importants pour comprendre Louise, mais il n’en fallait pas trop. Le montage des séquences est une sorte de musique… donc difficile à expliquer.
En parlant de musique, parlez-nous du travail sur le son, très subtil…
Nous avons utilisé deux musiques très différentes. La première, celle de Pierre Kellner, était destinée à accompagner Louise dans sa vie quotidienne. Elle se fait du café, elle est à la pêche… Des pièces de jazz pour piano seul, afin de faire sentir la légèreté avec laquelle elle prend sa mésaventure. La seconde, composée par Pascal Le Pennec, est une suite de pièces orchestrales destinées à ses rêves et à ses souvenirs. Et le son de la mer est également une véritable partition. Je pense que ces trois pistes sonores sont assez en harmonie…
Quel est votre prochain projet ?
Je prépare un film depuis deux ans. Il devrait démarrer l’année prochaine, si tout va bien. Le montage financier d’un long-métrage est toujours aussi difficile et périlleux… Un second film est dans sa phase d’écriture.
Comment se porte l’animation française aujourd’hui, alors que pas moins de 7 films sont pré-sélectionnés aux Oscars ?
Beaucoup mieux, j’ai l’impression. Plus de films voient le jour, mais il en faudrait encore davantage. Le film d’animation a besoin d’être intégré totalement dans la famille du cinéma, sans distinction d’âge, comme les films de fiction.
Qu’avez-vous appris de votre travail aux côtés de votre mentor, Paul Grimault ?
Beaucoup ! Quelques principes comme “un film d’animation c’est d’abord un film, donc une histoire.” Et bien d’autres choses sur la vie…
Louise en Hiver, en salles le 23 novembre
Louise en Hiver Bande-annonce VF